Emprunteur : vers un régime juridique plus protecteur

Cass Com 25 janvier 2023, n°20-12.811 (non reproduit).

Solution : le point de départ du délai de 5 ans pour agir en responsabilité contre une banque pour manquement à son devoir de mise en garde court, s’agissant d’un prêt in fine, à compter du jour de la date d’exigibilité des sommes auxquelles l’emprunteur ne peut faire face.

Portée : générale.

Contexte jurisprudentiel

La Cour de cassation est, depuis quelques temps, à l’origine d’une jurisprudence abondante portant sur les conditions nécessaires pour engager la responsabilité d’une banque pour défaut de mise en garde à l’égard d’un emprunteur ou d’une caution.

Elle se lance désormais dans un nouveau chantier…

La Cour de cassation œuvre, à présent, à préciser les modalités de mise en œuvre de cette action en responsabilité, et notamment à en fixer son point de départ.

Celle-ci se trouvait face à deux conceptions bien différentes :

  • Soit le délai court à compter du jour de la conclusion du contrat de prêt,
  • Soit il court à compter du jour où l’emprunteur a pris connaissance du risque, c’est-à-dire à la date du non-remboursement d’une échéance de son prêt.

La Cour de cassation a, dans un premier temps, opté pour la première thèse.

A noter que cette solution était contraignante pour les emprunteurs et cautions qui ne disposaient que d’un délai de 5 ans à compter de la signature de leur contrat de prêt pour engager la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde… Ils se réveillaient souvent trop tard !

Par ce nouvel arrêt du 25 janvier 2023, la Cour de cassation opère un virement de jurisprudence : elle consacre désormais clairement la seconde conception, et c’est une bonne nouvelle pour les emprunteurs !

Les faits de l’espèce

En l’espèce, par un acte notarié du 13 novembre 2008, une banque a consenti à Monsieur H et d’autres emprunteurs solidaires, un prêt personnel « dirigeants » d’un montant de 200 000 €, remboursable in fine le 31 octobre 2010, destiné à être apporté en compte-courant d’associé à la société P, dont les principaux associés étaient la société E (détenue à concurrence de 99 % par Monsieur H), la société M représentée par Madame S, et la société A.

Monsieur H a donné en hypothèque un bien immobilier lui appartenant.

La société P a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires.

Le 29 juin 2011, la banque a notifié la déchéance du terme du prêt puis a poursuivi l’exécution forcée sur le bien immobilier de Monsieur H.

Suivant actes d’huissier des 12 et 14 février 2014, soutenant que la responsabilité de la banque et celle de Madame S étaient engagées à son égard, Monsieur S les a assignées en paiement de dommages et intérêts.

Les demandes de Monsieur H formées contre la banque ont été rejetées, en première et deuxième instances, pour irrecevabilité.

La cassation et l’attendu de principe

La Cour de cassation casse l’arrêt de Cour d’appel et énonce :

« I- Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer.

II- Le manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt prive cet emprunteur d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il en résulte que le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face. »

Portée de l’arrêt

L’attendu de principe ne se réfère pas au prêt in fine, ce qui semble indiquer que la solution pourrait être étendue à l’ensemble des prêts.

Dans le même sens, la solution est rendue au double visa des articles L110-4 du Code de commerce et 2224 du Code civil (contrairement aux précédents arrêts en la matière), ce qui devrait lui conférer une portée générale.

Par ailleurs, à noter qu’il ne s’agit plus de la perte de chance de ne pas contracter, mais comme le précise la Cour de cassation en l’espèce, de la « perte de chance d’éviter le risque qui s’est réalisé », ce qui pourrait avoir des incidences sur la détermination du préjudice qui l’indemnise.

La Cour opère ainsi une unification salutaire de sa jurisprudence.

Cette solution est bien évidemment très favorable à l’emprunteur.

Elle est, en même temps, réaliste car c’est au jour où il ne peut plus régler une échéance que l’emprunteur prend réellement conscience de fait que le crédit souscrit était bien excessif.

Pauline SIX
Avocat en Droit des affaires et civil